Mythe des civilisations indiennes aux origines de tout... Ou presque !
- Solidestinations
- 17 mai
- 7 min de lecture
J'enfile les gants de boxe intellectuelle et rentrer dans le détail, avec des faits, des sources historiques et des comparaisons solides.
1. "Les Indiens ont inventé le zéro" — RÉALITÉ COMPLEXE MAIS HISTORIQUEMENT SOUTENUE
Faits :
Le concept du zéro comme nombre (et pas juste un espace vide) est formulé dans le traité de Brahmagupta, Brahmasphutasiddhanta (628 ap. J.-C.).
Il y donne des règles algébriques : par exemple, "un nombre moins lui-même est zéro", ou encore des tentatives (erronées à l’époque) de division par zéro.
La plus ancienne inscription connue du zéro en tant que chiffre date de 876 ap. J.-C., dans le temple de Gwalior.
Les Babyloniens (vers 300 av. J.-C.) utilisaient un symbole pour marquer une absence dans leur système positionnel, mais pas comme un nombre à part entière.
Les Mayas (vers 200-300 ap. J.-C.) utilisaient un vrai symbole zéro, mais leur système ne s’est pas diffusé au-delà de l’Amérique précolombienne.
Conclusion nuancée : L’Inde est la première civilisation à avoir systématisé et diffusé l’usage du zéro dans un système décimal. Mais elle n’a pas "inventé" le concept ex nihilo — d’autres ont eu des versions partielles. L’originalité indienne, c’est de l’avoir intégré dans l’arithmétique quotidienne, ce qui est fondamental pour les maths modernes.
2. "Les Vedas contiennent la gravité, les avions, la relativité" — MYTHE NATIONALISTE MODERNE
Faits :
Des affirmations modernes (souvent propagées par certains milieux nationalistes) prétendent que les Vedas contiennent des notions de vol spatial, de fusées, de physique nucléaire, voire d’Internet cosmique.
Le Vaimanika Shastra, souvent cité pour prouver que les anciens Indiens avaient des avions, est un faux document rédigé en 1918 par Pandit Subbaraya Shastry, prétendument dicté en transe par un esprit. L'étude de l’IIT Kanpur (1974) a conclu qu’il était purement fantaisiste, sans aucune validité technique.
Le mot "vimana" dans les Vedas et épopées comme le Ramayana désigne simplement un véhicule céleste ou royal — souvent symbolique ou mythologique.
Aucune preuve archéologique ni texte technique ne corrobore des technologies avancées comme on les entend aujourd’hui.
Conclusion : Ces lectures modernes des textes anciens sont des projections rétroactives, souvent motivées par la volonté de restaurer une fierté culturelle. Mais aucune méthode scientifique, démonstration ou technologie reproductible n’existe dans ces textes.
3. "L’Ayurveda est une science complète" — MÉLANGE DE TRADITION ET DE CROYANCE
Faits :
L’Ayurveda repose sur des textes comme le Charaka Samhita et le Sushruta Samhita (1er millénaire av. J.-C.), avec une vision holistique de la santé.
Elle classe les individus en doshas (Vata, Pitta, Kapha), une typologie sans fondement biologique prouvé.
Certaines pratiques — plantes médicinales comme le neem, le curcuma, le triphala — ont des effets pharmacologiques prouvés.
D'autres, comme l'utilisation de métaux lourds (bhasmas), sont toxiques : des études ont montré que certains médicaments ayurvédiques contiennent plomb, arsenic et mercure (cf. Journal of the American Medical Association, 2008).
Aucune validation par essais cliniques à grande échelle. Pas d’analogue au double aveugle, pas de publication dans des revues médicales de haut niveau.
Conclusion : L’Ayurveda est riche culturellement et historiquement, et contient des éléments utiles, mais ce n’est pas une "science" au sens strict. Elle n’a pas de méthodologie reproductible ni de corpus validé par les standards modernes.
4. "L’Inde ancienne était plus avancée que l’Occident" — MYTHE COMPARATIF ET NON UNIVERSALISABLE
Faits :
Avancées réelles :
Urbanisme de l’Indus : égouts, maisons à étages, bains publics (2600 av. J.-C.)
Mathématiques : système décimal, zéro, trigonométrie (Aryabhata, Bhaskara)
Linguistique : grammaire sanskrite ultra-avancée (Panini, 4e siècle av. J.-C.)
Mais : pas de presse à imprimer, pas de révolution scientifique, pas de révolution industrielle.
Savoir souvent transmis oralement (gourou-chela), ce qui a freiné la diffusion large.
Concentration du savoir dans les castes supérieures, ce qui a limité l’innovation démocratisée.
Conclusion : L’Inde était très avancée dans certains domaines, mais ce n’est pas une ligne droite de "supériorité". Le progrès humain est multicentrique, et l’Occident, la Chine, le monde islamique ont chacun eu leurs moments de domination intellectuelle.
5. "Le yoga moderne vient des Vedas" — MYTHE FITNESS-SPIRITUALITÉ
Faits :
Les textes classiques du yoga (Patanjali, 2e siècle av. J.-C.) ne parlent que de quelques postures — la majorité sont méditatives.
Les asanas modernes (chien tête en bas, planche latérale, etc.) sont une invention du 20e siècle.
Figures clés : Tirumalai Krishnamacharya, qui a enseigné à Pattabhi Jois (Ashtanga) et B.K.S. Iyengar. Ils ont intégré des mouvements inspirés de la gymnastique européenne et suédoise.
Mark Singleton, dans Yoga Body (2010), montre comment le yoga postural est un produit du nationalisme indien moderne et du dialogue Est-Ouest.
Conclusion : Le yoga moderne est un hybride récent, qui utilise un vocabulaire ancien. Il n’a presque rien à voir avec le yoga védique ou même classique.
6. "L’Inde a inventé les échecs" — VRAI, AVEC UN CHEMIN ÉVOLUTIF LONG
Faits :
Le chaturanga apparaît vers le 6e siècle en Inde. Il comporte 4 types de pièces représentant les 4 divisions de l’armée.
Il est transmis à la Perse (shatranj), puis au monde islamique, puis à l’Europe.
En Europe, vers le 15e siècle, le jeu est transformé : la reine devient plus puissante, l’échiquier bicolore se généralise, de nouvelles règles apparaissent.
Aucun doute que l’origine fondamentale est indienne, mais les règles actuelles sont largement européennes.
Conclusion : L’Inde a jeté les bases du jeu, mais les échecs modernes sont le fruit d’un processus global d’enrichissement culturel.
Allez, on remet une pièce dans la machine de la vérité. Cette fois, on va explorer d'autres domaines : philosophie, astronomie, linguistique, médecine chirurgicale, musique, et même technologie contemporaine.
7. "L’Inde ancienne maîtrisait l’astronomie moderne" — MYTHE COSMIQUEMENT EXAGÉRÉ
Faits :
Aryabhata (476-550) reconnaît que la Terre tourne sur son axe (bravo !), mais pensait que le Soleil tourne autour de la Terre (oups).
Il calcule la durée d'une année sidérale à 365.25868 jours, extrêmement proche de la valeur actuelle (365.25636).
Les anciens Indiens avaient un système lunaire-solaire complexe (Panchanga), utile pour les rituels, mais non prédictif au sens de Copernic, Kepler ou Galilée.
Pas de télescope, pas de lois du mouvement, pas de système héliocentrique confirmé.
Conclusion : L’Inde a eu de très bons astronomes, avec une précision impressionnante pour l’époque. Mais elle n’a pas développé l’astronomie moderne fondée sur l’observation systématique, l’expérimentation, et les équations.
8. "Les textes védiques ont tout prédit, y compris la relativité" — NON, JUSTE NON
Faits :
Des affirmations circulent disant que des versets comme "le temps passe différemment pour les dieux" préfigurent la dilatation du temps d’Einstein.
Or ce type de déclaration est mythopoétique : c’est de la métaphore, pas de la mécanique.
La relativité, c’est des équations mathématiques précises sur la vitesse de la lumière, la courbure de l’espace-temps, la gravitation… Pas des allusions symboliques.
Conclusion : On ne peut pas appeler "science" une intuition vague, surtout sans test, sans équation, sans prédiction vérifiable. **Sinon, Homère
Alors là, on sort le télescope critique, le scalpel historique, et peut-être un gilet pare-balles rhétorique… parce qu’on va passer du debunk de mythes anciens à la déconstruction des récits modernes qui mythologisent ces mythes.
Bienvenue dans le niveau supérieur : Comment les civilisations – Inde comprise – manipulent l’Histoire pour se reconstruire une grandeur passée.
18. Le “mythe de l’âge d’or” — UN UNIVERSALISME PSYCHOLOGIQUE
Presque toutes les civilisations se racontent un passé où tout était parfait :
Les Grecs avaient leur âge d’or avec les dieux vivant parmi les hommes.
L’Europe médiévale chrétienne idéalisait l’époque de l’Empire romain ou des rois très chrétiens.
Les Chinois parlent de la sagesse légendaire de la dynastie Zhou.
Les Arabes évoquent l’âge d’or abbasside de Bagdad, comme source unique de la science mondiale.
Et l’Inde ? C’est le Satya Yuga, les Védas omniscients, les rishis tout-puissants, les technologies divines perdues…
Pourquoi ? Parce qu’un peuple humilié ou en crise cherche à reconstruire son identité en idéalisant le passé. Et c’est d’autant plus vrai quand il a été colonisé.
19. Le trauma colonial alimente le surcompensatoire
L’Inde coloniale a vécu deux siècles d’humiliation, de spoliation et de dénigrement culturel. Pour beaucoup d’Indiens, l’Occident a imposé l’idée que l’Inde était “arrière, irrationnelle, mystique”.
Alors, après l’indépendance (1947), il y a eu un mouvement de contre-récit, souvent nécessaire et légitime. Mais parfois, il bascule dans la surcompensation mythologique.
Exemples :
Les manuels scolaires valorisent à l’excès des figures comme Aryabhata, Sushruta ou Panini, mais en gommant leurs limites.
Des hommes politiques (notamment issus de l’Hindutva) affirment que toutes les découvertes modernes étaient déjà connues des Vedas, parfois même l’aviation interstellaire (Vaimanika Shastra, un texte falsifié du 20e siècle !).
La science devient outil de fierté identitaire, pas de connaissance objective.
C’est compréhensible. Mais c’est dangereux pour l’esprit critique.
20. La “science hindoue” comme instrument politique
Des éléments factuels :
En 2014, un ministre indien a affirmé que Ganesh prouvait la connaissance antique de la chirurgie plastique.
Des colloques “scientifiques” dans des universités indiennes présentent des vérités védiques comme des faits démontrés.
Le gouvernement soutient parfois des projets de recherche visant à "prouver" scientifiquement des mythes religieux.
Pourquoi c’est problématique :
Ça confond allègrement croyance, symbole et science.
Ça décrédibilise les vraies découvertes historiques de l’Inde ancienne.
Et surtout, ça rend toute remise en question suspecte, voire “anti-nationale”.
Un mythe qui devient intouchable, c’est la mort du débat. Et donc de la science.
21. Ce phénomène est global — L’OCCIDENT FAIT PAREIL, EN MIEUX MARKETÉ
Il faut être juste : l’Inde n’est pas la seule à mythifier son passé.
Les États-Unis transforment leurs Pères fondateurs en demi-dieux de la démocratie (en oubliant l’esclavage).
La France aime parler des “Lumières” mais oublie souvent sa collaboration coloniale, ou l’esclavage à Saint-Domingue.
La Russie se refabrique un passé impérial orthodoxe glorieux.
Et la Chine, elle, c’est le “rêve chinois” de retrouver le prestige de l’Empire du Milieu.
La différence ? L’Occident a souvent transformé ses mythes en produits culturels ou scientifiques : Hollywood, Silicon Valley, Renaissance, conquête spatiale… Ils mythifient mieux parce qu’ils ont gagné la guerre du récit.
22. Pourquoi ce genre de debunk est vital
Parce qu’on ne peut pas :
avancer scientifiquement sans accepter l’incertitude et l’autocritique ;
construire une société pluraliste si on confond l’histoire avec une propagande sacrée ;
inspirer les jeunes esprits critiques avec des légendes opaques et sacralisées.
CONCLUSION

Ce n’est pas un crime de vouloir être fier de son passé. Mais la vraie fierté vient de ce qu’on peut vérifier, reproduire, expliquer — pas de ce qu’on doit croire sur parole
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